Cerise m’a réveillé tôt pour que je joue avec elle. Mes options professionnelles m’avaient travaillé et quelque peu empêché de passer la nuit réparatrice que j’escomptais. J’ai embrayé mon sourire pour la journée et joué à la Barbie avant d’aller manger. Après nous être lavés, nous sommes partis visiter les deux temples voisins. Le premier avait l’air assez récent, était tout coloré, Cerise l’a adoré. L’autre temple, vis-à-vis, était moins criard et suintait plus. Nous nous y sommes arrêtés quelques minutes sur la dalle avant de sortir. Les dames tentaient de refiler au moins une des deux bananes contenues, avec les habituelles fleurs et pigment rouge, dans le « paquet » de bénédiction offert contre l’offrande des croyants. Ensuite, nous avons embarqué à bord du ferry de bois peint en bleu clair qui nous a transporté, en compagnie des indigènes, jusqu’à Kottayam. La première partie du trajet était magnifique et nettement plus varié que celui de la croisière depuis Kollam, enchantant. Pour la première fois depuis notre départ, Cerise a joué sur le bateau avec un autre enfant, un garçon d’à peu près son âge. Il y avait eu quelques timides tentatives de jeunes Indiennes et une, plus avancée, d’un petit Français, à la peau d’Indien, qui cherchait de l’attention sur la plage de Varkala. Je lui avais demandé de déguerpir après qu’il ait jeté une deuxième fois, de manière narquoise, du sable sur la tête de Cerise et arraché sa longue vue des mains, refusé de la lui rendre, etc. Cerise parle également plus volontiers aux adultes depuis quelques jours, elle leur raconte ses histoires, notamment depuis que nous avons acheté hier son cahier de fleurs à colorier. Cette fois, j’ai eu le temps de détailler le serpent d’eau qui se tenait coi contre le mur du canal, blanc en bas, verdâtre sur le dessus et tacheté comme une truite. L’hélice du bateau a percuté la terre ou autre chose et nous nous sommes arrêtés quelques minutes pour réparer l’avarie. Quelle paix m’a envahie à l’arrêt du moteur. Sur une eau calme, au milieu de nulle part, entre les cocotiers et les rizières. J’aurai volontiers pédalé les quelques kilomètres restant pour maintenir cette langueur éternelle au royaume des oiseaux. Nous avons vu les habituels blancs, les noirs communs, en quantité incalculable, et aussi des canards, quelques blancs à bavettes brunes, quelques spécimens d’espèces moins fréquentes et … un martin-pêcheur ! Il m’a semblé le reconnaître avec son long bec, sa cape bleue sur son poitrail orange, à épier l’onde du canal de Kottayam. J’ai toujours cru qu’il était extrêmement rare de pouvoir en observer, peut-être ai-je vu ce que je souhaitais ? Le rickshaw-wallah qui nous a chargé à l’embarcadère était aussi souriant que les deux employés d’Indian Railways, plus grand employeur du monde, à qui je me suis adressé. Et c’était encore pire à la consigne des bagages. Je me suis efforcé de présenter mon meilleur sourire et mon air le plus enjoué à Kottayam et à ses habitants, qui avaient des têtes d’enterrement. La ville, traversée en rickshaw, m’a fait penser à Lausanne, avec ses montées et ses places, ses quartiers. Nous y avons profité de jus de fruits, de samosas et de shakes, cerise pour Cerise et noix de cajou pour moi. Le voyage en train a été bref en compagnie de Thomas, habitant d’Ernakulam, au discours passionnant. Cerise est jalouse quand je parle à d’autres personnes. Nous avons pris un nouveau rickshaw de la gare d’Ernakulam Town jusqu’à Fort-Cochin. Cerise a dormi presque toute la course de près de trente minutes vrombissante et pétaradante. Elle s’est complétement abandonné dans mes bras pour mon plus grand bonheur. Ses jambes vibraient quand le rickshaw était à l’arrêt, je ne sais pas comment elle a fait pour s’endormir. J’ai bien du la réveiller, une fois arrivée à l’auberge de la princesse, rue de la princesse, à Fort-Cochin, là où notre périple a commencé, il y a vingt jours.